A qui appartient la forêt en France ?

La forêt française métropolitaine, ce sont plus de 17 millions d’hectares, soit 31% du territoire. A qui appartient cette forêt ? C’est pour beaucoup une question incongrue. A qui appartient l’air que l’on respire ou l’eau de la rivière ? Les oiseaux, les crapauds à ventre jaune ou de manière générale, les animaux sauvages et les fleurs des champs ont-ils un propriétaire ? Dans l’esprit de beaucoup, au cœur d’une société de plus en plus urbaine, la question ne se pose pas : la forêt appartient à tout le monde, point final. Elle permet d’aller s’y promener, d’y courir, d’y faire du VTT, de pratiquer la sylvothérapie (activité en vogue, qui consiste à câliner les arbres), de respirer à plein poumon, d’y conter fleurette, d’éprouver l’émotion de la rencontre furtive avec le sauvage, d’y récolter baies et champignons, de râler contre les chasseurs, de pester contre l’ONF qui laisse des branchages au sol et des ornières dans les sentiers. Mais dans le monde rural, à la question : à qui appartient la forêt ? Les réponses sont plus nuancées : « Les parcelles forestières de l’autre côté de la route sont communales, la forêt qui part du bout de la vallée jusqu’au col est domaniale, derrière le bois du Roger, c’est Nicolas qui a hérité des deux parcelles de la Louise qui les tenait de son père ». Derrière une surface forestière, la plus réduite soit-elle, il y a toujours un propriétaire !

Qui possède quoi ?

Pour les naturalistes, qu’ils soient respectables ou extrémistes, à la question : à qui appartient la forêt ?, une réponse mérite réflexion : la forêt appartient aux animaux et espèces végétales qui y vivent…

En 1789, la Révolution française a érigé la propriété privée en droit « inviolable et sacré ». A ce jour, l’article 544 du Code civil définit la propriété comme : « le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par la loi ou les règlements ». L’un des éléments fondateurs de l’Union Soviétique s’est appuyé sur le décret de la terre d’octobre 1917 : la propriété était « immédiatement abolie et sans aucune compensation ». C’était l’État qui devenait l’unique propriétaire. Depuis les choses ont bien changé, et le propriétaire privé, a repris la main.

En matière de forêts en France, toute parcelle forestière a un propriétaire et ce sont essentiellement des propriétaires privés. Sur les plus de 17 millions d’hectares de forêts en France métropolitaine, 13 millions appartiennent à des propriétaires privés, 1,5 millions d’hectares constituent les forêts domaniales propriétés de l’État et 2.8 millions d’hectares sont la propriété des communes. Forêts domaniales et forêts communales constituent les forêts publiques dont la gestion est déléguée à l’Office National des Forêts (ONF). Hors métropole, la forêt française compte environ 9 millions d’hectares.

L’ONF n’a aucune légitimité, ni responsabilité dans la gestion des ¾ de la forêt française. Une seule exception, la forêt de Guyane, qui représente environ 8 millions d’hectares de forêts tropicales, dont 95% de forêts primaires. 98% de la gestion de cette forêt est confiée à l’ONF.

Une répartition peu homogène

La propriété forestière n’est pas uniformément répartie sur le territoire national. Plus de 90% de propriétaires privés en Nouvelle Aquitaine, Pays de Loire et Bretagne et, c’est une exception notable, la région Grand Est où, pour des raisons historiques, les forêts publiques représentent plus de 55% des surfaces forestières.

Il y a en France plus de 3,3 millions de propriétaires privés, dont 2,2 millions de propriétaires de moins d’un hectare… Il y a donc en France près de 20% des forêts dont les propriétaires se perdent souvent dans les successions et les héritages successifs, ce sont « les biens sans maîtres », 20% de forêts aux propriétaires incertains et non soumis à des plans de gestion, 20% de forêts que l’on peut qualifier de forêts en libre évolution. « La libre évolution » réclamée à corps et à cris par certains  alors qu’elle est déjà là, et qu’il n’est pas nécessaire de s’énerver sur le sujet. 

La répartition de la forêt française est très variée. Elle reflète les différents climats, géographies et histoires de gestion forestière des régions

  • Nord et Île-de-France : forêts majoritairement composées de feuillus (chênes, hêtres), principalement gérées pour la conservation et le loisir.
  • Est de la France (Alsace, Lorraine, Franche-Comté, Bourgogne) : forêts mixtes (feuillus et résineux), avec des essences comme le sapin, l’épicéa et le douglas. Les Vosges, par exemple, sont connues pour leurs forêts denses et leur industrie du bois.
  • Massif central : forêts mixtes adaptées à un terrain accidenté avec une gestion forestière orientée vers la protection de l’environnement et la production de bois.
  • Sud-Ouest (Aquitaine) : zone dominée par la forêt des Landes, la plus grande forêt de pins maritimes d’Europe, utilisée principalement pour la production de bois et de papier.
  • Sud-Est (Provence-Alpes-Côte d’Azur, Rhône-Alpes) : forêts méditerranéennes avec des essences comme le pin d’Alep, le chêne vert et le chêne pubescent, avec une gestion forestière axée sur la prévention des incendies et la biodiversité.
  • Ouest (Bretagne, Pays de la Loire) : Moins boisées, ces régions ont des forêts composées principalement de feuillus et des plantations de résineux, utilisées pour le bois et les loisirs.
  • En outre-mer, la répartition est très différente, avec des forêts tropicales humides en Guyane, des forêts sèches et humides en Nouvelle-Calédonie, et d’autres écosystèmes forestiers uniques dans les Antilles, à La Réunion, à Mayotte et dans les collectivités du Pacifique.
Carte des surfaces forestières en France / Source : ONF
Carte des surfaces forestières en France / Source : ONF

Bien commun ou bien d’intérêt général ?

Pour beaucoup, la forêt est un « bien commun ». Dites à un propriétaire forestier que sa forêt est un bien commun, et vous aurez en général une réaction assez vive… Se pose ainsi la délicate question du bien commun et du bien d’intérêt général. 

Un bien commun dans le droit romain est une chose, par essence, sans propriétaire. On ne peut empêcher personne de le consommer. Il n’y a pas de rivalité dans sa consommation, on ne peut se l’approprier. De manière spontanée chacun pensera à l’air que l’on respire et à l’eau nécessaire à la vie. 

Pour l’eau, les exigences de qualité, sa rareté qui devient critique, les conflits d’usage, l’industrialisation et la marchandisation de cette ressource l’éloignent assez rapidement d’un bien commun et renvoient la fontaine du village à la nostalgie du passé. Il reste que les forêts jouent un rôle essentiel dans le cycle de l’eau, elles stockent davantage, elles filtrent, elles entretiennent le régime des pluies. Il y a ainsi pour la forêt une part de bien commun, mais qui reste relative dans le contexte décrit plus haut. 

Pour l’air que l’on respire, on évoque souvent à tort, le poumon de la terre que symbolise la forêt amazonienne. On confond là la production brute et la production nette. Si presque toute l’oxygène libre de l’air résulte de la photosynthèse (production brute), presque toute cette production est immédiatement réutilisée par la respiration de ces mêmes organismes végétaux. La production nette est ainsi presque nulle. La quasi-totalité de l’oxygène respirable de la Terre provient des océans. C’est le résultat d’une accumulation dans l’atmosphère grâce aux micro-organismes marins capables de photosynthèse. Ce processus biologique est apparu dans les océans, au cours de l’évolution du vivant, il y a environ 3,7 milliards d’années. Si l’oxygène de l’air est toujours aujourd’hui un bien commun (pourvu que ça dure…), et qu’il résulterait essentiellement de nos arbres, alors les forêts seraient un incontestable bien commun. Mais ce n’est pas exactement le cas…

Si la forêt n’est pas un bien commun, est-elle d’intérêt général  ? L’intérêt général est défini comme « ce qui est pour le bien public ». Le Conseil d’État le définit en 1999 comme : « la capacité des individus à transcender leurs appartenances et leurs intérêts pour exercer la suprême liberté de former ensemble une société politique ». En général, chacun adhère à cette notion d’intérêt général, jusqu’à ce que l’intérêt particulier reprenne le dessus. Les exemples sont nombreux… Il reste que l’intérêt général ne peut se définir que par rapport à une politique, une norme ou une loi. C’est bien le cas pour la forêt.

L’article L112-1 du code forestier est assez clair :

« Les forêts, bois et arbres sont placés sous la sauvegarde de la Nation, sans préjudice des titres, droits et usages collectifs et particuliers.
Sont reconnus d’intérêt général :

  1. La protection et la mise en valeur des bois et forêts ainsi que le reboisement dans le cadre d’une gestion durable ;
  2. La conservation des ressources génétiques et de la biodiversité forestière ;
  3. La protection de la ressource en eau et de la qualité de l’air par la forêt dans le cadre d’une gestion durable ;
  4. La préservation de la qualité des sols forestiers, notamment au regard des enjeux de biodiversité, ainsi que la fixation, notamment en zone de montagne, des sols par la forêt ;
  5. Le rôle de puits de carbone par la fixation du dioxyde de carbone par les bois et forêts et le stockage de carbone dans les sols forestiers, bois et forêts, le bois et les produits fabriqués à partir de bois, contribuant ainsi à la lutte contre le changement climatique. »

L’article L112-2 précise : « Il est tenu un inventaire permanent des ressources forestières de la Nation », c’est le rôle que joue aujourd’hui l’IGN (Institut national de l’information géographique et forestière). La loi du 22 août 2021 introduit un nouvel article : « Tout propriétaire exerce sur ses bois et forêts tous les droits résultant de la propriété dans les limites spécifiées par le présent code et par la loi, afin de contribuer, par une gestion durable, à l’équilibre biologique et à la satisfaction des besoins en bois et autres produits forestiers. Il en réalise le boisement, l’aménagement et l’entretien conformément à une gestion durable et multifonctionnelle ».

La loi est claire, elle affirme clairement le rôle essentiel que joue la forêt et le bois dans la fixation et le stockage du carbone pour lutter contre les changements climatiques. Elle ne différencie pas forêts publiques et forêts privées, l’essentiel est ailleurs. Elle précise bien le caractère d’intérêt général de la forêt et la nécessité absolue d’une gestion durable. Par « ruissèlement », les effets ne pourront qu’être positifs sur ces biens communs que peuvent être l’air, l’eau et la biodiversité.

Pour tenter une définition made in l’ENSTIB,

« la forêt est un bien d’intérêt général, dont les propriétaires sont moralement responsables pour préserver nos biens communs »

Pour conclure son article « Bien commun et intérêt général », Jean-Marc Pontier,  Professeur émérite de l’Université d’Aix Marseille, évoque une formule trouvée dans une église du XIIIème siècle : « Rex, Lex, Pax, Lux », ce qui peut s’énoncer de la manière suivante : « la règle régit les rapports humains et parce qu’elle gouverne en garantissant la justice, elle assure la paix »

A méditer sous le couvert des grands arbres, en se rappelant qu’ils ont tous un propriétaire, suffisamment généreux que pour nous permettre d’en jouir presque toujours sans entrave ni billet d’entrée…

Merci à Pascal Triboulot, Professeur à l’ENSTIB, École Nationale Supérieure des Technologies et Industries du Bois, pour sa contribution à la rédaction de cet article.

Pour aller plus loin :
La forêt française en chiffres France Bois Forêt
Infographie de l’ONF Infographie
Vidéo du Ministère de l’Agriculture La forêt française

Crédit Photos : Flavie Najean / Ville d’Epinal (Spinaparc) / DALLe (Guyane)

Autrice

Flavie NAJEAN

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