Bien s’informer aujourd’hui ? Des journalistes à l’ENSTIB

Quelles sont les sources d’information fiables et comment les vérifier ? Comment fonctionnent les réseaux sociaux et comment les utiliser tout en se protégeant ? Quel est le rôle d’un journaliste aujourd’hui et comment travaille-t-il ? Autant de questions abordées lors d’une rencontre organisée à l’ENSTIB, dans le cadre du cours de communication de Flavie Najean. Cet échange a réuni des élèves ingénieurs, mais aussi des personnels et enseignants-chercheurs du Campus Bois. Pour enrichir cette réflexion, trois journalistes étaient invités par l’enseignante :

  • Vincent Diestch, correspondant de TF1 pour le Grand Est,
  • Sophie Valsecchi, journaliste Vosges pour France 3 Lorraine,
  • Katrin Tluczykont, directrice départementale Vosges pour Vosges Matin.

Réseaux sociaux : rester ou partir ?

L’ENSTIB a quitté X dès le 1er décembre 2023, en toute discrétion. Ce choix s’explique par deux raisons principales : d’une part, le réseau ne représentait plus un réel levier de notoriété pour l’école, d’autre part, les prises de position d’Elon Musk en matière de modération des contenus ne correspondaient plus à ses valeurs.

Plus récemment, l’évolution de la position de Mark Zuckerberg, PDG de Meta (maison mère de Facebook et Instagram), sur la gestion des élections américaines soulève des questions quant à l’impact de ces plateformes sur leurs utilisateurs. En effet, Meta a mis fin à son programme de vérification des faits aux États-Unis, le remplaçant par un système de « Notes de la communauté », similaire à celui en place sur X.

Pourtant, les communautés ENSTIB sur ces réseaux restent particulièrement actives. À titre d’exemple, les interactions sur Instagram peuvent dépasser les 30 000 durant la semaine des Défis du Bois. Après concertation avec des experts en réseaux sociaux et communication, l’école a décidé de maintenir sa présence sur ces plateformes.

Flavie Najean rappelle néanmoins :

Toutes les données publiées, y compris en privé ou en messagerie, mais aussi ce que vous likez et partagez, sont la propriété de Meta.

Par ailleurs, les algorithmes de ces plateformes peuvent exposer les utilisateurs à des contenus biaisés ou trompeurs, en fonction de leur engagement avec certains contenus (politiques, humanitaires, sociaux…).

Et la liberté de la presse ?

En France, la plupart des médias dépendent d’intérêts industriels, financiers ou étatiques. Cette réalité concerne aussi bien la presse généraliste nationale que les quotidiens et hebdomadaires régionaux, les médias en ligne, l’audiovisuel national et certaines chaînes de télévision locales.

Les entreprises de presse constituent une marchandise de luxe très prisée des grandes fortunes.

Le Monde Diplomatique, décembre 2024

Un Panorama de la presse actualisé est disponible ici : Monde Diplomatique – Cartographie de la Presse.

Chaque année, Reporters sans frontières (RSF) publie le Classement mondial de la liberté de la presse, qui évalue la liberté dont disposent les médias et l’information dans 180 pays. RSF diffuse également des rapports thématiques de référence et publie plus de 2 000 communiqués de presse par an.

La liberté de la presse est la possibilité effective pour les journalistes, en tant qu’individus et en tant que collectifs, de sélectionner, produire et diffuser des informations dans l’intérêt général, indépendamment des interférences politiques, économiques, légales et sociales, et sans menace pour leur sécurité physique et mentale.

Reporters sans frontières

Une liberté sous pression

Le rapport de RSF souligne que la concentration des médias en France s’accentue, un phénomène qui nécessite une vigilance accrue pour préserver le pluralisme et l’indépendance de l’information.

Les thématiques sur lesquelles portent le questionnaire RSF annuel sont : le pluralisme, l’indépendance des médias, l’environnement et l’autocensure, le cadre légal, la transparence et la qualité des infrastructures soutenant la production de l’information.

Découvrez ici le classement de la France et des autres pays.

Quelques extraits des débats

Les journalistes invités ont été confrontés à de nombreuses questions de la part des participants. Parmi les sujets abordés :

Comment trouvent-ils les sujets qu’ils traitent dans leur média respectif ?

L’agence de presse pour laquelle je travaille fournit des reportages à TF1. 50 % sont des commandes de la chaîne, décidées par la rédaction, et l’autre moitié sont des sujets que je propose et que je défends.

Vincent Dietsch

Du côté de Vosges Matin, la journaliste Katrin Tluczykont explique :

Aujourd’hui, nous devons chercher l’information partout, y compris sur les réseaux sociaux, qui sont une source précieuse de sujets. Mais notre travail ne s’arrête pas là : nous nous rendons systématiquement sur le terrain pour échanger avec des personnes, prendre des photos, vérifier les faits et recouper les sources. Lorsqu’un événement se déroule à l’international, nous ne publions que si nous pouvons contacter un Vosgien sur place. Par exemple, récemment à Mayotte, nous avons couvert la situation en nous appuyant sur les témoignages de Vosgiens présents sur le terrain. Nous sommes un média local : il faut que nos lecteurs se sentent concernés.

Chez France 3 Lorraine, la démarche est similaire, comme l’explique Sophie Valsecchi :

Le choix des sujets se fait en conférence de rédaction. Ensuite, nous devons enquêter, trouver les informations et les contacts sur le terrain.

Comment enquêter sur un sujet sensible ?

L’investigation peut s’avérer délicate, notamment lorsque les interlocuteurs hésitent à témoigner. Les journalistes présents ont évoqué le scandale Nestlé, qui a récemment secoué les Vosges.

Le groupe Nestlé Waters, propriétaire des marques Vittel et Contrexéville, a été impliqué dans plusieurs controverses. En 2024, il a été révélé que l’entreprise utilisait des méthodes de désinfection interdites pour ses eaux minérales, notamment l’ultraviolets et la filtration sur charbon actif, en violation des réglementations françaises et européennes.

Localement, tout le monde travaille, a travaillé ou connaît quelqu’un qui travaille pour Nestlé à Vittel ou à Contrexéville.

Katrin Tluczykont

Oui, et c’est difficile pour ces personnes de témoigner, car elles craignent de mettre en péril leur emploi et l’économie locale.

Sophie Valsecchi

Cette difficulté d’accès à l’information se traduit également par un manque de transparence de l’entreprise :

Depuis des années, il est impossible d’entrer sur les sites de production pour prendre des images. Nous avons des images d’archives, mais elles ne correspondent plus à la réalité.

Sophie Valsecchi

Un étudiant a alors posé la question de l’usage de la caméra cachée dans ce type de situation.

Vincent Dietsch a précisé :

Oui, mais seulement si le journaliste peut prouver qu’il a demandé à plusieurs reprises un accès officiel et que l’entreprise refuse systématiquement de répondre. Dans ce cas, la caméra cachée peut être un dernier recours pour documenter les faits.

Et le droit à l’image ?

Flavie Najean a soulevé une question concrète : lors de la Remise des Diplômes de l’ENSTIB, des médias sont présents et prennent des images.

Qui est responsable si un(e) étudiant(e) est filmé(e) alors qu’il ou elle a refusé que son image soit utilisée par l’école ?

Les trois journalistes ont été unanimes dans leur réponse :

Une personne qui assiste à un événement public, ou rassemblant un grand nombre de personnes, est forcément exposée aux caméras et aux appareils photo. Elle peut signaler qu’elle ne souhaite pas être filmée ou photographiée. Toutefois, tant que les images ne portent pas atteinte à son intégrité, le média reste responsable de leur diffusion, et non l’école.

Pensez-vous être totalement libres dans vos articles ?

Vincent Dietsch nuance :

Si l’on prend le cas de l’affaire Nestlé, qui est un annonceur pour TF1 (chaîne totalement privée), il peut y avoir un questionnement. Cela reste parfois délicat, mais à partir du moment où les faits sont confirmés, le sujet n’est pas occulté. Des reportages ont déjà été réalisés et diffusés.

Katrin Tluczykont rebondit :

Un élu qui commet un délit subira forcément les conséquences d’une publication dans le journal local. Malgré les pressions possibles, nous en informons la rédaction et nous publions, car c’est notre rôle.

Et demain ?

L’avenir du journalisme suscite des interrogations.

Nous ne savons pas si nous existerons toujours dans dix ans… mais il y a dix ans, on nous annonçait déjà notre disparition.

Katrin Tluczykont

Le métier évolue sous l’effet de l’instantanéité de l’information et des nouvelles attentes du public.

Aujourd’hui, l’information est ultra-rapide, voire immédiate. On nous demande à la fois de mener des investigations approfondies et de fournir des images sans délai. Ce n’est pas simple, et cela exige des moyens considérables. En parallèle, nous devons intégrer la dimension numérique : désormais, les consultations en ligne des journaux dépassent leur diffusion traditionnelle.

Vincent Dietsch

Conclusion

Nous vivons dans un monde en perpétuelle évolution, où s’informer dans les meilleures conditions possibles est essentiel. Si en France, la presse reste encore libre, la concentration des médias constitue un risque qu’il faut surveiller de près.

Les jeunes générations s’informent autrement, notamment via des plateformes comme Hugo Décrypte, ce qui est une avancée positive. Toutefois, pour garantir l’existence de médias forts et indépendants, il reste primordial de soutenir la presse traditionnelle… et d’acheter un journal de temps en temps.

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